Le principe est bien connu : pour mieux comprendre l’avenir, il faut étudier le passé. Les scientifiques étudient donc des phénomènes survenus il y a plusieurs millions d’années dans la nature pour pouvoir estimer les effets et l’évolution d’une installation de stockage en profondeur de déchets radioactifs. Nous appelons ces phénomènes des « analogues naturels ».
Il existe plusieurs exemples d’analogues naturels avec l’argile, comme vous l’explique Laurent Wouters.
Que sont les analogues naturels ?
Laurent : « Les analogues naturels sont une source d’informations pour nous. Les processus y jouent un rôle comparable à celui des processus qui se produisent dans un stockage de déchets. En les étudiant, nous pouvons tirer d’importantes leçons pour une future installation de stockage en profondeur (aussi appelée géologique) des déchets radioactifs de haute activité et/ou de longue durée de vie. »
Pourrais-tu nous donner un exemple d’analogue naturel ?
Laurent : « Un exemple très concret est celui des « réacteurs nucléaires naturels ». À ce jour, seize réacteurs naturels ont été découverts à Oklo, au Gabon. Des dépôts d’uranium s’y sont formés, il y a deux milliards d’années, donnant lieu à des réactions naturelles de fission. Ces phénomènes sont les mêmes que ceux que l’on observe lors du processus de fission dans une centrale nucléaire. De telles découvertes montrent, en passant, que la radioactivité est un phénomène naturel. »
Qu’est-ce qui rend les réacteurs nucléaires naturels du Gabon uniques ?
Laurent : « Les réacteurs ont entre-temps refroidi et l’uranium s’est cristallisé pour former de l’oxyde d’uranium. Ces substances sont comparables au combustible usé hautement radioactif issu des réacteurs de nos centrales nucléaires. Nous pouvons donc étudier la manière dont les substances radioactives ont migré. Les recherches indiquent que la majeure partie des substances n’ont pas ou ont peu migré en dehors du dépôt d’uranium. Elles sont retenues dans le minerai, bloqué à son tour dans une poche d’argile imperméable qui entoure le dépôt. »
L’exemple du Gabon montre que l’argile empêche la migration des radionucléides. Y a-t-il d’autres phénomènes naturels qui confirment ce principe?
Laurent : « Certainement. Le Canada est réputé pour ses paysages naturels uniques et magnifiques, mais le lac de Cigar Lake dépasse tout ce que l’on peut imaginer. Des géologues ont trouvé sous ce lac, à environ 430 mètres de profondeur, un dépôt d’uranium vieux d’un milliard d’années. Il s’agit du plus grand et du plus riche dépôt d’uranium au monde : à différents endroits, on mesure une concentration en oxyde d’uranium de 40 pour cent.
Le minerai d’uranium que l’on y trouve est également comparable au combustible nucléaire usé. L’uranium s’est conservé pendant toute cette période. La couche d’argile imperméable qui l’entoure a empêché l’uranium de migrer. L’argile forme une barrière naturelle autour du minerai et limite les mouvements d’eau souterraine à l’intérieur du minerai. C’est ainsi que les minéraux d’uranium ne peuvent pas migrer . Selon les calculs, la situation serait stable depuis deux cents millions d’années. En d’autres termes, le minerai est resté intact pendant tout ce temps.
À la surface du lac, rien ne laisse à penser qu’un dépôt d’uranium se cache dans les profondeurs. Son eau est pure et, selon les résultats des échantillons prélevés par des scientifiques pendant neuf ans, elle respecte les normes imposées à l’eau potable. »
Qu’est-ce que cela nous apprend ?
Laurent : « Ce phénomène est, en quelque sorte, une installation de stockage naturelle. Comme c’est le cas pour les déchets radioactifs dans le concept de stockage en profondeur mis au point par l’ONDRAF, l’uranium hautement concentré est entouré d’une barrière naturelle d’argile. L’argile canadienne a en outre des caractéristiques comparables à celles des roches hôtes actuellement étudiées en Belgique et en Europe pour le stockage en profondeur des déchets radioactifs. »
Une forêt fossile
Le minerai d’uranium au Canada est resté bien conservé. Comment sait-on que l’argile joue un rôle dans cette conservation ?
Laurent : « Des dizaines de phénomènes naturels peuvent en attester. Il y a près de quarante ans, des troncs d’arbres ont été découverts dans une carrière d’argile à Dunarobba, en Ombrie (Italie). Il s’agit de séquoias qui ont poussé sur le territoire à l’époque où les mammouths y régnaient encore en maîtres. Ces arbres, aujourd’hui exotiques, ont été ensevelis sous des masses d’argile, mais isolé de l’air extérieur, le bois ne s’est ni décomposé ni fossilisé. Les scientifiques ont constaté qu’il pouvait même être utilisé comme combustible. L’exemple de Dunarobba nous démontre ainsi que l’argile peut conserver des objets organiques intacts pendant des millions d’années. »